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PSE et respect de l’obligation de sécurité : quel est le juge compétent ?

Publié le 04/12/2023

Depuis une décision du tribunal des conflits en 2020, la répartition des compétences entre l’ordre administratif et l’ordre judiciaire est bien établie. Afin de maintenir un bloc de compétence le plus large possible au profit du juge administratif, de nouvelles prérogatives en cas de PSE ont été créées au profit de l’administration en matière de santé-sécurité.

En résumé, il revient au juge administratif de contrôler si la Dreets[1] a bien mis en œuvre ses nouvelles prérogatives « dans le cadre du PSE », et au conseil de prud’hommes d’apprécier les manquements de l’employeur à son obligation de sécurité « dans le cadre de la mise en œuvre du PSE ».

Par trois arrêts du 21 mars 2023, le Conseil d’Etat est venu préciser l’étendue du contrôle réalisé par l’administration en matière de santé-sécurité lorsqu’elle est saisie d’une demande d’homologation d’un PSE[2].

[1] Direction Régionale de l'Économie, de l'Emploi, du Travail et des Solidarités.

[2] C’est-à-dire lorsque le PSE a été élaboré unilatéralement par l’employeur. Lorsque le PSE est issu d’un accord collectif, on parle de validation.

Santé-sécurité et PSE : les enjeux du « choix » du juge

-Quelle que soit la réorganisation envisagée, la mise en œuvre d’un PSE est par nature anxiogène. Dès les premières rumeurs de réorganisation, jusqu’à l’annonce aux salariés licenciés, l’obligation de sécurité, qui impose à l’employeur de prévenir les atteintes à la santé physique et mentale de ses salariés, a vocation à s’appliquer de manière très concrète, et pour l’ensemble de la communauté de travail. C’est le cas en particulier s’agissant des risques psycho sociaux, susceptibles de détériorer la santé aussi bien des salariés menacés d’un licenciement, que de ceux qui vont continuer de travailler après la réorganisation.

Rien de nouveau quant à l’obligation de prendre en compte ces risques psychosociaux. Déjà, depuis un arrêt « Snecma », du 5 mars 2008[1], il était interdit à l’employeur « dans l'exercice de son pouvoir de direction, de prendre des mesures qui auraient pour objet ou pour effet de compromettre la santé et la sécurité des salariés. » et, à l’époque, le projet pouvait même être suspendu.

-Mais voilà que cette problématique appréhendée de longue date par la jurisprudence judiciaire a retrouvé une actualité avec le changement de nature du contentieux des PSE, confié en 2013 aux juridictions administratives, et non plus au juge judiciaire. Depuis lors, l’administration est en effet chargée d’autoriser ou non le PSE (par homologation ou validation selon les cas). Un acte administratif fait ainsi écran entre les salariés, leurs représentants et l’employeur.

-La question s’est donc posée de savoir quelle juridiction est compétente pour sanctionner l’employeur défaillant en matière de santé-sécurité. Le tribunal judiciaire, dans la mesure où l’administration n’a aucune prérogative en matière de santé-sécurité dans le cadre du PSE ? Ou alors le tribunal administratif, puisqu’un bloc de compétence lui a été confié à dessein pour rationaliser – et accélérer- la mise en œuvre des PSE[2] ? Mais alors à quelles conditions ?

-Derrière ces questions, une problématique bien concrète. Un juge peut-il toujours suspendre une restructuration et le PSE en cours d’application si l’employeur est défaillant en matière de santé-sécurité ? En 2019, la Cour de cassation a estimé que oui !  Le juge judiciaire est bien compétent pour suspendre un PSE, même s’il a été validé par l’administration, en raison des manquements de l’employeur à son obligation de sécurité[3]. Mais cet édifice, à la fois logique et protecteur des salariés, s’effondre en 2020 avec la décision du tribunal des conflits[4], qui s’est empressée de renvoyer au juge administratif la charge de la vérification du respect de l’obligation de sécurité.

Quelle obligation de sécurité devant le juge administratif ?

Une obligation générale de prévention des risques professionnels

Dans une décision récente, le Conseil d’Etat conclut qu’il revient à l’administration de vérifier que l’employeur a bien respecté « ses obligations en matière de prévention des risques pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs »[5]. Ce faisant, la Haute juridiction administrative utilise une formulation assez proche de celle de la Cour de cassation, depuis que l’obligation contractuelle de sécurité « de résultat » a évolué vers une obligation légale de sécurité, concentrant l’obligation de l’employeur sur la prévention des risques professionnels[6]

Du même coup, le Conseil d’Etat répond à une interrogation laissée en suspens par le Tribunal des conflits. Ce dernier, en ne mentionnant que l’article L.4121-1 du Code du travail, avait laissé subsister un doute sur le contrôle de l’application des principes généraux de prévention.

Or le Conseil d’Etat, non seulement rappelle de manière judicieuse[7] les principes généraux de prévention de l’article L.4121-2 du Code du travail, mais surtout insiste sur les principes particulièrement important en cas de PSE : la nécessité d’évaluer les risques ne pouvant pas être évités, de planifier les mesures de prévention en y intégrant l’organisation du travail et les conditions de travail, et de prioriser les mesures de protection collective sur les mesures de protection individuelle[8].

De cette obligation générale de prévention, dont le contrôle du respect pèse dorénavant sur l’administration, découlent des modalités particulières de contrôle en fonction du moment où la Dreets est appelée à intervenir dans le cadre du PSE.

Des obligations particulières de l’administration lors du PSE

Le Conseil d’Etat donne un mode d’emploi à l’administration pour effectuer son contrôle, en distinguant deux moments : l’élaboration du PSE et l’homologation du PSE. Ces modalités sont applicables également aux sociétés en cessation d’activité ou en liquidation judiciaire[9].

-Rôle de l’administration lors de l’élaboration du PSE. A tout moment en cours de procédure, la Dreets peut faire toute observation ou proposition à l'employeur concernant son déroulement ou les mesures sociales contenues dans le PSE. Ces observations ou propositions, ainsi que la réponse que doit leur donner l’employeur, sont adressées aux organisations syndicales[10]. Les organisations syndicales, ou le CSE, peuvent également faire une demande d’injonction auprès de la Dreets visant à ce que l’employeur se conforme à une règle de procédure ou à ce qu’il transmette des documents nécessaires à la conduite de la procédure d’information-consultation[11].

La nouvelle obligation générale de prévention des risques professionnels autorise donc l’administration à faire des observations sur les éventuels manquement en matière de santé-sécurité et à enjoindre à l’employeur de fournir des informations sur les « conséquences de la réorganisation en matière de santé, sécurité ou de condition de travail » ainsi que « les actions arrêtées pour les prévenir et en protéger les travailleurs »[12].

Il s’agit donc d’un nouveau levier à disposition du CSE ou des organisations syndicales pour faire évoluer le projet de l’employeur et le cas échéant, pour démontrer les manquements de l’administration en cas de contestation de l’homologation du PSE.

-Rôle de l’administration lors de l’homologation du PSE. Dans le cadre de son contrôle, l’administration doit en premier lieu vérifier la régularité de la consultation du CSE sur l’opération de restructuration projetée et le document unilatéral portant PSE. Pour le Conseil d’Etat, il en découle que l’administration doit vérifier que l’employeur a adressé au CSE, dès la convocation à la première réunion et tout au long du processus d’information-consultation, en répondant aux demandes du CSE ou à ses injonctions, « des éléments relatifs à l’identification et à l’évaluation des conséquences de la réorganisation de l’entreprise sur la santé ou la sécurité des travailleurs ».

Si des risques ont été identifiés, le CSE, qui doit être en mesure de rendre ses avis en toute connaissance de cause, doit avoir été informé des actions prises pour protéger la santé physique et mentale des travailleurs. Cette précision du Conseil d’Etat n’est ici pas dénuée de fondement juridique, puisque le CSE doit être consulté « le cas échéant, [sur] les conséquences des licenciements projetés en matière de santé, de sécurité ou de conditions de travail ».

La Dreets a également la charge de vérifier que le document unilatéral portant PSE contient toutes les dispositions rendues obligatoires par la loi ou les conventions collectives. Sauf qu’il n’existe pas de dispositions légales donnant compétence à l’administration pour refuser d’autoriser un PSE[13] en raison de manquement à l’obligation de sécurité !

Le Conseil d’Etat, prolongeant la décision du tribunal des conflits, est donc venu créer cette obligation et ce faisant une méthode de contrôle pour l’administration.

Dès lors que la réorganisation engendre des risques sur la santé[14], la Dreets est chargée de vérifier que l’employeur a arrêté des mesures précises et concrètes « au nombre de celles prévues aux article L.4121-1 et L4121-2 du code du travail ». Pour homologuer le document unilatéral, les mesures de prévention « prises dans leur ensemble »[15] doivent être de nature à prévenir et protéger les travailleurs des atteintes à leur santé induit par la réorganisation.

Quand bien même le Conseil d’Etat s’attacherait à contrôler la mise en place d’actions précises et concrètes de l’employeur en matière de prévention des risques, la possibilité d’une appréciation globale du respect de l’obligation de sécurité, et le délai restreint dont dispose l’administration pour homologuer le PSE, laisse présager un contrôle très formel de l’obligation de sécurité. La naissance d’une obligation de sécurité d’un genre nouveau dont la seule finalité a vraisemblablement été d’écarter la compétence du tribunal judiciaire a de quoi inquiéter[16]

Enfin, il reste encore à savoir quel contrôle sera opéré par l’administration en cas d’accord collectif sur le PSE, le Conseil d’Etat n’ayant été saisi de contestations portant uniquement sur des documents unilatéraux.

Quelle obligation de sécurité devant le conseil de prud’hommes ?

Le juge judiciaire voit sa compétence limitée en aval du PSE. Pour les litiges individuels devant le conseil des prud’hommes, l’obligation de sécurité peut néanmoins être appréciée de manière classique.

Une obligation de sécurité appréciée au moment de la mise en œuvre du PSE

Dans ses arrêts de mars dernier, le Conseil d’Etat a estimé que le juge judiciaire est compétent « pour assurer le respect par l'employeur de son obligation de sécurité lorsque la situation à l'origine du litige est liée à la mise en œuvre du document ou de l'opération de réorganisation ». Ainsi, une fois le PSE homologué, le juge judiciaire et en particulier le conseil des prud’hommes, sont compétents pour apprécier les éventuels manquements à l’obligation de sécurité.

En cas de défaillance de l’employeur, les salariés pourront donc seulement obtenir des dommages et intérêts et non la suspension de la réorganisation et du PSE qui en découle.

Une obligation de sécurité « classique »

Devant le conseil des prud’hommes, il n’est pas question d’une appréciation globale de l’obligation de sécurité ! En effet, depuis l’évolution de la jurisprudence de la Cour de cassation sur l’obligation de sécurité, pour dégager sa responsabilité, l’employeur doit justifier avoir pris « toutes les mesures prévues par les articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail »[17].

Toutefois, une question d’articulation « des obligations de sécurité » se posera sans aucun doute, dès lors que l’administration homologuera un PSE estimant que les mesures de prévention prises dans leur ensemble sont satisfaisantes, et qu’un salarié saisira le conseil des prud’hommes au motif que toutes les mesures n’ont pas été prises, en particulier en cas d’atteinte à sa sécurité ou sa santé.

La décision de la Dreets risque de rendre plus difficile l’action en justice du salarié ou à tout le moins le travail des conseillers prud’hommes salariés vis-à-vis de leurs homologues employeurs… Les premières décisions des conseils de prud’hommes sont donc très attendues !

 

[1] Cass.soc.5.03.08 n°06-45888.

[2] Au-delà de l’encadrement du PSE dans des délais très contraints, « l’immixtion » du juge judiciaire dans les PSE pouvait être perçu comme imprévisible. Cf. « Restructuration et risques psychosociaux : quels juges ? », Revue de droit du travail 2016 p.286, Manuela Grévy.

[3] Cass.soc.14.11.19, n°18-13887.

[4] Trib.confl.8.06.20, n°4189.

[5] CE.21.03.23, AFPA, point 5, n°450012.

[6] Cass.ass.plen.05.04.19, n°18-17.442.

[7] Voir l’article de Luc de Montvalon, « Prise en compte des risques professionnels lors de l’élaboration d’un PSE : des réponses et des questions », Revue de droit du travail 2023, p.476.

[8] Autrement dit, un numéro vert pour contacter une cellule psychologique, très courant en matière de PSE, ce n’est pas répondre à l’obligation de sécurité si c’est la seule mesure…

[9] CE.21.03.23, Société Presse sport investissement n°460660 et 460924.

[10] Art. L.1233-57-6 C.trav.

[11] Cette demande d’injonction doit être motivée, l’administration disposant de 5 jours pour y donner suite ou non. cf. Art. L.1233-57-5 C.trav.

[12] Point 7 de l’arrêt AFPA précitée.

[13] Aussi bien lorsque le PSE est issu d’un accord collectif que d’un document unilatéral de l’employeur.

[14] En la matière, le CSE joue donc un rôle prépondérant afin de mettre le sujet dans le radar de l’employeur au moment de l’information-consultation et ainsi rendre obligatoire le contrôle par la Dreets des mesures de prévention.

[15] Point 9 de l’arrêt AFAP précitée.

[16] Ou plus positivement « de compter sur la capacité » de l’administration à apprécier les mesures de prévention, V. Sonia Norval Grivet « Le contrôle des risques psychosociaux au stade du PSE : mode (et précautions) d’emploi », Dalloz Actualité, 6.03.23.

[17] Cass.soc. 25.11.15, n°14-24-444 et dans le même sens Cass.ass.plen.05.04.19, n°18-17.442.